15 avril 2007

Paradis ! Paradis ! Gilles Laurendon


"Les gens, me dit Simon, pensaient à l'époque où commence notre aventure que la terre était plate et close à ses extrémités ; les étoiles étaient fixées comme des clous dans la sphère céleste. La religion chrétienne avait clos le monde et avec lui le débat autrefois si vigoureux des penseurs grecs sur l'infinitude de l'espace. On était bien loin d'Anaximandre ! Certains théologiens affirmaient pourtant que le Paradis existait sur la Terre et non au Ciel. On pouvait y accéder après une longue navigation. Mais ce Paradis n'était visible que pour des hommes ayant le coeur pur. Sinon, ils étaient condamnés à errer jusqu'à la fin des Temps, jusqu'au Jugement Dernier ou bien ils périssaient brutalement dans l'Abîme et payaient d'un éternel séjour en enfer leur impardonnable témérité. C'était ça qui fascinait Simon, l'idée que le Paradis existait sur Terre et que la pureté des coeurs pouvait seule en révéler l'accès ! Imaginez un peu, Tomas, des hommes capables de se lancer sur des mers inconnues et redoutables avec la seule force de leur foi et sur un bateau grand comme une coquille de noix !"

"Sa grand-mère lui a dit : Chante Oona, chante ne joue pas d'un instrument, chante ma Ounia chérie. Tu as une si bele voix. Avec ta voix d'or, tu pourras chanter partout. Tu n'auras pas à redouter les frontières. Tu ne crains rien, Oona, mais promets-moi, surtout, n'apprend pas à jouer d'un instrument. Juste à chanter et à te taire quand il faut. Ton grand-père serait encore vivant s'il avait su chanter et se taire quand il faut.
L'histoire de la mort de son grand-père, Oona la connaît par coeur. Sa grand-mère passe son temps à la ressasser. Il l'avait enlevée en pleine nuit alors qu'ils ne se connaissaient que de la veille. Il avait donné un concert avec ses musiciens pour un mariage. Et voilà que le hasard bleu lui brouille le coeur et l'âme à la jeune et belle gagaouze. Au coeur de la nuit, elle a tout quitté, son village, sa famille, sa vie, sa langue, sa religion même, mais on peut prier Dieu de bien des façons, Oona, pour suivre cet inconnu à moustaches qui lui a tourné la tête avec son violon. Elle l'a épousé, deux jours plus tard, lui, le rrom que l'on maudit encore dans le village et pour combien de générations encore ? Elle a épousé sa musique, sa langue, son histoire ; son âme appartient maintenant sang pour sang à cette lignée de musiciens faroucehs et fiers et plus libres que le vent.
Ton grand-père, c'était un homme vrai, Oona. Il était connu de tout le monde, il était ami avec tout le monde. Bien sûr que je suis leur ami, disait-il, je joue et voilà qu'ils chantent, je joue et voilà qu'ils dansent. Dans le coeur des hommes, il y a toujours de la place pour la musique."

Suite de la dégustation

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