27 avril 2007

Thornytorinx. Camille de Peretti


"Je n'ai pas été travailler ce jour-là. Allongée sur mon futon, les yeux attaqués par de petites sauterelles dont je ne parvenais pas à me défaire, j'attendais que mon corps se désagrège. Mes globes oculaires avaient beau se moquer de moi, je savais bien que rien de cela n'était réel. J'hallucinais des moustiques. L'effroi a vite fait place à l'énervement. Je voulais juste qu'ils arrêtent de s'agiter comme ça autour de moi. J'ai vomi ma bouillie de riz sous le regard de ma petite mère japonaise qui se tordait les mains de douleur et d'impuissance. J'étais ravie de vomir en public.

Mon stage s'est terminé le lendemain. L'Hirakata International Association m'a offert un horrible porte-clefs en argent massif en signe d'amitié éternelle que j'ai jeté dans la première poubelle. Dans ma fièvre, je n'avais réussi à perdre qu'un seul misérable kilo. Consciente de mon échec, j'ai invité ma vieille veuve au restaurant, et je lui ai dit que j'allais mieux et qu'elle s'était bien occupée de moi. Elle était triste que je parte, je crois, mais on ne lui avait jamais appris à faire dans le lyrique.

Je me suis épilée, j'ai fait mes valises et je suis rentrée à Paris."


"Il y a un phénomène de masse chez nos cruches d'adolescentes, elles veulent toutes devenir des stars. Accusons donc les médias et la télé-réalité. Il y avait un phénomèn de masse au XVIIIe siècle, toutes les jeunes filles rêvaient de se choper un prince. Accusons le machisme des temps, qui voulait qu'une ne puisse y arriver autrement que par le mariage. La fin reste inchangée, s'élever dans les airs et être reconnue comme être d'exception. Etre belle ou mince, peu importe, du moment que l'on est admirée. Et moi qui allais bientôt me mettre deux doigts au fond de la gorge pour me persuader que j'étais plus forte que les autres, j'étais si banale."

Suite de la dégustation

26 avril 2007

L'Architecte du Désastre. Xavier Hanotte


"A son sujet, le mot "beauté" ne venait pas tout de suite à l'esprit. "Force", en revanche, s'imposait d'emblée. Néanmoins, cet édifice n'avait rien de commun avec les palais qui, dans l'Allemagne nouvelle, sortaient de terre en s'appuyant sur le même mot. Ici, sans rien abandonner de sa puissance, la Justice se voulait malgré tout bonne fille. Qu'une société eût d'ailleurs construit pareil temple pour l'abriter et l'exalter -- sinon son idée, du moins sa pratique -- et non pour y faire rugir un Peuple, un Guide ou les deux à la fois, semblait un anachronisme étrange, un défi jeté aux temps présents et, de ce fait, promis à la disparition."

"J'aurais dû monter à l'arrière mais, selon moi, jamais les privilèges liés au grade n'avaient aboli le ridicule de certaines situations. Jouer les condottieres à bord d'une petite Kübelwagen pétaradante, surtout décapotée, faisait appel à un sens de l'humour que j'avais perdu. En tout cas, si ce produit du génie aryen remplissait un jour, sous des atours plus civils, sa mission annoncée de voiture du Peuple, on pouvait escompter avant mille ans un durcissement des postérieurs allemands propre à réjouir les eugénistes au pouvoir."

Suite de la dégustation

19 avril 2007

Une Enfance Africaine. Stefanie Zweig


"Il était agréable d'être assis tranquillement et d'avaler le soleil ; il était encore plus agréable d'écouter le bwana raconter les choses qui, poussées par le tremblement léger sortant de la kinanda, aussi léger que les gouttes de la dernière heure du jour, filtraient entre ses doigts. Les conversations offraient alors le même enchantement que la terre assoiffée, après la première nuit des grandes pluies. Durant ces heures auxquelles Kimani aspirait davantage qu'à un repas pour son ventre ou à la chaleur pour ses os douloureux, il avait l'impression que les arbres, les plantes et même le temps, impossible à toucher, avaient mâché des grains de poivre pour qu'on arrive à mieux les sentir sur sa langue."

Suite de la dégustation

16 avril 2007

Les Cerfs-Volants de Kaboul. Khaled Hosseini


"A la fin des années soixante, alors que j'avais cinq ou six ans, Baba décida de bâtir un orphelinat. Je tiens cette histoire de Rahim khan, qui me raconta comment, bien qu'il n'eût aucune expérience en la matière, mon père traça lui-même les plans du bâtiment. Les sceptiques tentèrent de le raisonner et le pressrent d'engager un architecte. Il refusa bien sûr, et chacun secoua la tête avec consternation devant son entêtement. Puis il mena son projet à bien, et chacun hocha cette fois la tête avec respect devant son air triomphant. Baba finança personnellement la construction d'un édifice d'un étage, à deux pas de l'avenue Jadeh-Maywand, au sud de la rivière de Kaboul. Toujours selon Rahim khan, il paya tout de sa poche - les ingénieurs, les électriciens, les plombiers et les ouvriers, sans parler des autorités municipales, à qui il convenait de "graisser la patte".

"La construction de l'orphelinat dura trois ans. J'avais huit ans à la fin des travaux. Je me souviens que, le jour précédant l'inauguration, Baba m'emmena au bord du lac Kargha, à quelques kilomètres au nord de Kaboul. Avant de partir, il voulut m'envoyer chercher Hassan, mais je mentis en prétendant qu'il avait la courante. Je voulais mon père pour moi tout seul. Lors d'une excursion à cet endroit, Hassan et moi nous étions amusés à lancer des cailloux et lui avait réussi huit ricochets alors que je n'en avais pas totalisé plus de cinq. Baba avait tapoté Hassan dans le dos. Il lui avait même passé un bras autour des épaules."

Suite de la dégustation

15 avril 2007

Paradis ! Paradis ! Gilles Laurendon


"Les gens, me dit Simon, pensaient à l'époque où commence notre aventure que la terre était plate et close à ses extrémités ; les étoiles étaient fixées comme des clous dans la sphère céleste. La religion chrétienne avait clos le monde et avec lui le débat autrefois si vigoureux des penseurs grecs sur l'infinitude de l'espace. On était bien loin d'Anaximandre ! Certains théologiens affirmaient pourtant que le Paradis existait sur la Terre et non au Ciel. On pouvait y accéder après une longue navigation. Mais ce Paradis n'était visible que pour des hommes ayant le coeur pur. Sinon, ils étaient condamnés à errer jusqu'à la fin des Temps, jusqu'au Jugement Dernier ou bien ils périssaient brutalement dans l'Abîme et payaient d'un éternel séjour en enfer leur impardonnable témérité. C'était ça qui fascinait Simon, l'idée que le Paradis existait sur Terre et que la pureté des coeurs pouvait seule en révéler l'accès ! Imaginez un peu, Tomas, des hommes capables de se lancer sur des mers inconnues et redoutables avec la seule force de leur foi et sur un bateau grand comme une coquille de noix !"

"Sa grand-mère lui a dit : Chante Oona, chante ne joue pas d'un instrument, chante ma Ounia chérie. Tu as une si bele voix. Avec ta voix d'or, tu pourras chanter partout. Tu n'auras pas à redouter les frontières. Tu ne crains rien, Oona, mais promets-moi, surtout, n'apprend pas à jouer d'un instrument. Juste à chanter et à te taire quand il faut. Ton grand-père serait encore vivant s'il avait su chanter et se taire quand il faut.
L'histoire de la mort de son grand-père, Oona la connaît par coeur. Sa grand-mère passe son temps à la ressasser. Il l'avait enlevée en pleine nuit alors qu'ils ne se connaissaient que de la veille. Il avait donné un concert avec ses musiciens pour un mariage. Et voilà que le hasard bleu lui brouille le coeur et l'âme à la jeune et belle gagaouze. Au coeur de la nuit, elle a tout quitté, son village, sa famille, sa vie, sa langue, sa religion même, mais on peut prier Dieu de bien des façons, Oona, pour suivre cet inconnu à moustaches qui lui a tourné la tête avec son violon. Elle l'a épousé, deux jours plus tard, lui, le rrom que l'on maudit encore dans le village et pour combien de générations encore ? Elle a épousé sa musique, sa langue, son histoire ; son âme appartient maintenant sang pour sang à cette lignée de musiciens faroucehs et fiers et plus libres que le vent.
Ton grand-père, c'était un homme vrai, Oona. Il était connu de tout le monde, il était ami avec tout le monde. Bien sûr que je suis leur ami, disait-il, je joue et voilà qu'ils chantent, je joue et voilà qu'ils dansent. Dans le coeur des hommes, il y a toujours de la place pour la musique."

Suite de la dégustation

14 avril 2007

La Nef des Fous - 6. Les Chemins énigmatiques. Turf


Baltimore et le Sergent, gardiens du palais, tentent de sortir d'un souterrain en compagnie de leur chien Igor.

Baltimore : "Hé, dites donc, ça grimpe !


Le Sergent : Vous l'avez dit, mon petit. C'est un sacré souterrain ascensionnel !


Baltimore : Ben moi je n'ai plus de jambes. Si on s'asseyait un peu ?!...


Le Sergent : Pas le temps, Baltimore ! Poursuivons notre progression ! Hop ! Hop ! Hop !


Baltimore : Euh... Sergent ?... Vous savez où est Igor ?


Le Sergent : Pourquoi ? Il n'est pas derrière vous ?


Baltimore : Ben non, je le croyais devant avec vous !


Le Sergent : Ca alors, nous l'avons égaré ! C'est funeste, ça ! Houlàlà !... Le chien du Roy ça craint quand même un peu !


Baltimore : Nous n'avons qu'à passer sous silence cet épisode de notre enquête.


Le Sergent : Ce n'est pas très réglementaire. Mais cela reste la seule option envisageable. Allez, pressons-nous. Le temps nous est compté !"


Suite de la dégustation

10 avril 2007

Le Chameau Sauvage. Philippe Jaenada


"Un moment plus tard, j'ai commencé à m'inquiéter : car j'ai entendu de puissants coups de marteau qui provenaient de la cuisine. Je ne me suis pas levé tout de suite, non. il ne faut pas exagérer et avoir peur de tout. C'est tout moi, ça. Un rien et je m'affole. Ce vacarme assourdissant, ça ne veut pas forcément dire qu'elle est en train de détruire ma cuisine. Si on se fie aux apparences... Elle essaie peut-être simplement d'enlever le papier du petit-suisse. Quand on ne sait pas s'y prendre, on s'énerve, on cherche des solutions extrêmes. Mais Caracas s'était réveillée, évidemment - Cissé Sikhouna lui-même avait dû grommeler dans son sommeil -, et bien que je n'aie jamais eu l'occasion d'observer de près un chat d'appartement en présence d'un péril mortel, je me suis demandé si l'expression de Caracas ne reflétait pas quelque chose de ce genre-là : les yeux qui lui sortaient de la tête, les oreilles aplaties, le poil hérissé, les lèvres pincées. Dans la cuisine, les coups redoublaient d'intensité et ne ressemblaient pas tout à fait à des coups de marteau, en fin de compte : quelque chose de plus détraqué, de plus sauvage. Un peu comme si elle avait fait entrer par la fenêtre une équipe de démolisseurs des pays de l'Est."


"Au pire, comme je l'ai dit, je m'attendais à découvrir en ouvrant la porte cinq ou six colosses blonds en maillot de corps et en jean, les cheveux en brosse et les épaules luisantes, en train de démolir mon électroménager moderne à grands coups de masse et de pioche. Je n'étais pas loin. J'ouvre (la porte ne grince pas mais ça ne gâterait rien) et me retrouve face à la scène la plus abominable à laquelle puisse assister celui qui tient à sa cuisine comme à la prunelle de ses yeux (ce n'est pas mon cas, mais je projette - c'est pour la question dramatique (si j'écris : "J'ouvre et me retrouve face à une scène un peu contrariante", c'est la déception) (et puis j'aimais bien ma cuisine tout de même))."


1 avril 2007

Kafka sur le rivage. Haruki Murakami


"Autrefois, les êtres humains ne naissaient pas homme ou femme, mais homme/homme, homme/femme ou femme/femme. Autrement dit, il fallait deux personnes d'aujourd'hui pour en faire une seule. Tout le monde était satisfait comme ça, et la vie se déroulait paisiblement. Mais Dieu a pris une épée et a coupé tous les êtres en deux bien nettement, par le milieu. Résultat : il y a eu des hommes et des femmes, et les gens se sont mis à courir dans tous les sens toute leur vie à la recherche de leur moitié perdue."

"C'est l'histoire de deux guerriers qui se lient d'amitié et se jurent une fidélité fraternelle - un lien très important pour les samouraïs parce que être frères signifie être prêt à sacrifier sa vie pour l'autre. Les deux amis étaient chacun au service d'un seigneur différent. L'un d'eux écrivit à l'autre qu'il lui rendrait visite au moment de la floraison des chrysanthèmes, quoi qu'il advienne. L'ami répondit qu'il attendrait. Mais le premier se trouva pris dans un conflit de son fief, et fut mis aux arrêts par son seigneur. Il ne pouvait plus ni sortir ni même envoyer de lettre à l'extérieur. L'été s'acheva, l'automne vint, et avec lui la saison de la floraison des chrysanthèmes. Le samouraï ne pouvait honorer sa promesse. Or, pour un samouraï, une promesse est la chose la plus importante qui soit. Son honneur compte plus que sa propre vie. Le samouraï se fit donc hara-kiri et, devenu un esprit, parcourut les mille li qui le séparaient de la demeure de son ami. Ils parlèrent tout leur content en contemplant les chrysanthèmes, puis l'esprit disparut de la surface de la terre."

"Ce que Tchekhov voulait dire, c'est que la nécessité est un concept indépendant. La nécessité a une structure différente de la logique, de la morale ou de la signification. Sa fonction repose entièrement sur le rôle. Ce qui n'est pas indispensable n'a pas besoin d'exister. Ce qui a un rôle à jouer doit exister. C'est cela la dramaturgie."

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Mlle Saeki : "Ni toi ni moi ne sommes des métaphores.

Kafka : Je sais. Mais les métaphores permettent de réduire la distance qui nous sépare, vous et moi.

Elle sourit, la tête levée vers moi.

Mlle Saeki : C'est la phrase la plus étrange qu'un homme m'ait dite pour me séduire."

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Oshima : "Ce sac à dos est le symbole de ta liberté, non ? dit-il.

Kafka : Peut-être.

Oshima : Posséder un objet qui symbolise sa liberté peut rendre un homme plus heureux que la liberté elle-même."

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"J'ai l'impression d'être au bon endroit. Je ne me pose pas la question de savoir qui je suis au côté de Nakata. C'est sans doute exagéré, mais je me dis que les disciples du Bouddha ou du Christ devaient ressentir la même chose. Ils devaient penser : "Quand je suis avec Bouddha, je ne sais pas pourquoi, mais je me sens bien." C'est pour cette raison qu'ils sont devenus ses disciples, avant de se poser des questions compliquées sur la Doctrine ou la Vérité."

"Les souvenirs, c'est quelque chose qui vous réchauffe de l'intérieur. Et qui vous déchire le coeur en même temps."