4 juillet 2007

Les Petits Soldats du Journalisme. François Ruffin


Ancien étudiant au CFJ ( Centre de Formation des Journalistes), François Ruffin révèle les coulisses de cette école qui "formate" chaque année les futurs journalistes des médias français les plus prestigieux. Il raconte notamment un exercice de reportage radio :


"Les grèves, tous les autres vont en parler. On ne peut pas faire l'impasse dessus, l'AFP sort déjà des "Urgents".

-- Mais ça ne m'intéresse pas.

-- Il y aura plein de choses qui ne te plairont pas dans la vie. Tu dois d'abord penser à tes auditeurs, et ils attendent ça." Une autre enseignante me présente aussitôt l'angle : "J'ai lu un édito de Bruno Frappat, ce matin, dans La Croix. Regarde, c'est vraiment incendiaire... Est-ce que c'est le bon moment pour une grève, alors que les gens se sentent menacés ? Les syndicats sont complètement irresponsables... une grève des transports en pleine crise internationale, avec l'anthrax, Ben Laden, les alertes à la bombe. Donc, c'est un peu ça qu'on devrait retrouver dans ton reportage. Place aussi un micro d'ambiance pour les colis suspects."

Il est 10h15. "Retour obligatoire avant 11h30."

[...]

A la gare du Nord (où rien, m'avait-on dit, ne circulait), des trains partent chaque demi-heure pour la banlieue. J'interroge Aziz, déjà installé sur une banquette : il avait prévu de prendre un taxi, mais il a finalement trouvé un RER pour l'aéroport Charles-de-Gaulle. Son impression, "c'est que les grèves ne sont jamais suivies à 100%. Même pas à 70%. Peut-être à 50% mais pas plus." Même réaction d'Hélène, au départ pour Mitry-Claye : "On ne l'entend jamais sur les antennes mais il y a toujours des trains. Sauf pendant les grèves de 1995, mais sinon ils maintiennent un service plus que minimum." Je tâte le terrain côté anthrax et attentats : mes deux interlocuteurs rigolent doucement...

Ce n'est qu'aux Halles que je rencontrerai des travailleurs embêtés par la grève : un cameraman et un journaliste de France 3 Ile-de-France qui ne trouvent personne à sonder. "Merde, merde, il faut qu'on se presse..." Ils se précipitent sur les quais : les voyageurs n'attendent que depuis cinq minutes... "On n'a rien, rien. On ne peut pas ramener ça."

[...]

La dramatisation obligée. "Tu aurais pu faire un effort... Je viens d'écouter LCI, eh bien il y avait des gens qui se plaignaient. Qui se sentent pris en otages." Un reproche logique : pour cause de concurrence, il fallait y aller. Mais si on en parle, c'est que le sujet le mérite. Il convient donc d'en rajouter pour justifier notre choix : "Tu aurais dû dire à ton manifestant : "Bon, maintenant on le refait mais vous êtes en colère"", conseillera une prof à un camarade."